Dis-moi
c’est quand, que tu reviens ?
Toute
une histoire peut se jouer sur le sens d’un mot, d’une
phrase. D’un
quiproquo. Je me suis toujours dit que les grandes problématiques
mondiales pourraient être réglées si on avait tous les mêmes
définitions. Celles du monde valant bien les miennes, évidemment.
Et comme le monde est un peu vaste, j’ai plutôt tendance à
m’occuper des miennes, de problématiques.
Pour
en revenir à mon histoire, elle commence le matin tôt dans mon lit.
Je me lève souvent avec cette impression étrange que tout a été
déménagé dans la nuit. Mon cerveau compris. Ce matin là ne
changeant pas des autres, je ne me formalisais pas. Ainsi, après mon
café habituel, je préparais mes affaires pour une journée de
travail. Habituelle. Je suis employé de mairie. Officieusement, j’ai
pour devoir d’aider notre jeunesse à se cultiver et de l’inciter
à trouver un passe-temps utile et légal, tout en la surveillant
pendant les temps extra-scolaires. Officiellement, je suis
bibliothécaire. Ce matin là, donc, je suis seul dans mon petit
domicile fixe : ma moitié étant en déplacement au fin fond
d’un pays oublié, à étudier je ne sais quelle espèce en
perdition. Et tout le problème, dans mon affaire, provient justement
d’un papier posé là négligemment sur mon bureau.
“Et
si c’était la dernière fois que nous étions heureux”. Cette
petite phrase de pied de page suscita ma curiosité. C’était
l’écriture de mon amie et la finesse de sa calligraphie. Des
lettres trop étirées et des traits qui transpercent les mots
suivants. Je ramassais les quelques feuilles noircies pour y revenir
un peu plus tard. Quel besoin avais-je de vouloir savoir ?
Cette phrase s’imprima dans mon crâne et se posa sur le voile de
ma vision. Elle ne prenait pas toute la place, non. Elle était juste
présente. Un peu comme ces nuages gris dans les cartoons qui zonent
au-dessus des têtes et suivent les personnages. Je pressais le pas
sous la canicule naissante de ce matin de juillet. En vue du regard
que me lança ma collègue, j’étais en retard une fois de plus.
Mes excuses ne servant plus à rien depuis le temps, je compte
désormais sur mes grandes qualités professionnelles pour me
soutenir. Ce qui ne marche pas toujours.
A
midi, je retrouvais les feuilles pliées dans ma poche de veste et
parcourus les premières lignes des yeux, le reste en diagonale. Sur
le papier s’étalait l’histoire d’une fille se réveillant un
matin en s’apercevant que l’homme avec qui elle dormait est un
parfait inconnu. Au fil des pages, le doute s’infiltre jusqu’à
devenir malsain. Celui-là même que tout le monde pourrait redouter
dans une histoire. L’écriture est jolie et la fin tragique :
La fille en perd la raison. Suffisamment pour en perdre la vie à
laquelle elle met fin en plongeant du haut d’un pont.
J’avais
repoussé sans le vouloir mon déjeuner, l’estomac serré et
reposais les feuilles sur la table. Et si ces pages m’étaient
adressées ? Si les sentiments de mon amie étaient inscrits
dans ces pages, à travers ce personnage ? Non, impossible. Elle
ne les aurait pas déposées ainsi sur mon bureau ces feuilles. A
moins que je ne les aie déplacées sans le vouloir, sans les voir ?
Quand avais-je entendu sa voix pour la dernière fois à ma moitié ?
Les minutes se sont multipliées et les heures se sont envolées
depuis son départ. Je tentais de me remémorer mon emploi du temps à
l’inverse des aiguilles dans l’espoir d’y trouver des détails
pour me rassurer. Rien. Elle était partie un matin comme à
l’ordinaire et reviendrait quelques semaines plus tard. J’en
avais l’habitude même si je ne m’y habituais pas vraiment.
Dès
lors, tout prit un autre goût autour de moi. Mes gestes, mes paroles
et mes pensées. Tout était centré sur cette phrase “et si
c’était la dernière fois que nous étions heureux”. Quand
était-elle partie déjà ? Et pour où exactement ? Je
cherchais la réponse dans mon agenda et constatais dépité que le
temps passant, je ne notais plus les déplacements et destinations de
ma moitié aussi sérieusement qu’au début. Cela faisait plus de
trois ans qu’elle partait à l’autre bout de la Terre et revenait
poser ses valises quelques temps chez elle sur Paris avant de
reprendre la route. Depuis deux ans maintenant, elle faisait escale
dans mon petit deux-pièces. Pour quelques jours ou quelques
semaines, c’était selon. Elle est éthologue. En bref, elle étudie
les animaux sauvages.
En
attendant de trouver une réponse à mes questions par sa voix, je
laissais défiler l’après-midi sans trouver d’occupation réelle
me permettant de dévier mes pensées. Qui sait, j’avais peut-être
du courrier ou un message qui m’attendait ? A dix sept heures
tapantes, j’étais prêt à rentrer chez moi. Pour aller au
travail, j’avais pris l’habitude de prendre une ligne de métro
qui ne porterait pas le nom de raccourci. Saint-Michel. A côté de
l’entrée, un petit square et trois bancs entourés d’autant de
réverbères verts bouteille. De cette couleur que seul le mobilier
urbain de Paris ose arborer. Et en filigrane derrière ce décor, un
pauvre arbre s’accrochant au ciel tant bien que mal, comme pour
mieux échapper à sa condition. Je restais un moment à regarder
cette scène avant de descendre dans les entrailles de la ville.
La
ligne B était bondée et moite. Je m’assis sur les premiers
sièges, côté couloir pour pouvoir ressortir plus vite à
l’arrivée. Habituel. Pour patienter, je ressortis de ma poche mon
énigme. A la fin du texte, juste avant de faire le grand plongeon,
la jeune fille fait la synthèse de son histoire. “ C’est un
champ de ruines qui s’étale sous mes pieds. Je n’arrive pas à
trouver à quoi me raccrocher. Ni nos moments de bonheur ne
m’apaisent, ni notre avenir ne me rassure. J’ai pourtant cru être
heureuse mais … Rien que de dire « je t’aime » me
questionne. Et si c’était la dernière fois que j’aimais et la
seule où je mourrais ? ” Je commençais à croire que
le suicide avait été pour elle bien plus une sortie de secours
qu’une solution. Plutôt que d’admettre la vérité, elle
préférait juste fuir. J’acceptais mais ne comprenait pas. A
présent, devais-je me classer parmi les célibataires ? Ma
petite amie ne mâchait pas ses mots. Si elle avait dû me quitter,
elle me l’aurait annoncé de vive voix. Il fallait que je me
reprenne, tout ça tournait en paranoïa. Arrivé chez moi je me
précipitais sur ma boîte aux lettres. Pas de courrier. Je
soupirais. Je fouillais mon bureau puis ma poubelle à la recherche
d’un bout de papier raturé ou oublié mentionnant le pays
d’accueil provisoire de ma petite amie et surtout, sa date de
retour. La plupart du temps, elle trouvait un taxi ou un collègue
pour la déposer chez moi au retour et laissait même un numéro pour
la joindre. Je ne trouvais aucune information dans mon appartement,
de ma chambre à la cuisine. De rage, je renversais une pile de
dossiers à classer de la main. Une feuille en tomba “Pour me
joindre” suivi d’un numéro. Rien d’autre. Pas de “je
t’aime”, ni de “à très vite”. A croire qu’elle laissait
un mot à un inconnu. Je me couchais ce soir là, bercé par la
lumière rougeâtre de ma messagerie de répondeur. Vide au coucher.
Pas plus pleine au matin.
Au
réveil, j’appelais le numéro trouvé la veille, mais tombais sur
une messagerie. Et sur ses conseils, je laissais un message demandant
des nouvelles de Gabe et un geste aimable de sa part confondu dans un
rappel de la date de son retour. Tout en arrivant en retard,
j’annonçais au regard de reproche de ma collègue que ma petite
amie était portée disparue. A la question “dans quel pays
est-elle partie ?”, je lançais le premier nom venu tout en me
demandant si l’Ouzbékistan existait toujours sous ce nom là. Le
regard de reproche se changea en désarroi et son œil devint humide.
J’ignorais que je pouvais susciter de ma collègue autre chose que
du reproche. Elle me proposa de rentrer chez moi, ce que j’acceptais
sans remords.
Je
m’arrêtais prendre un café et m’autorisais un arrêt sur un des
bancs proche de l’entrée du RER. A nouveau, je me focalisais sur
le paysage étrange que produisait le décor quasi théâtral. Cet
arbre avait un passé et renfermait le notre. Celui de Gabriel et le
mien dans un premier temps. Le notre par la suite et encore
maintenant. Enfin, peut-être.
Il
y a plus d’un an, je tentais de trouver un moyen pour me rendre à
mon travail malgré une grève générale. Peine perdue, mon idée
était grotesque. Je suis ressorti sans même avoir pu descendre dans
le conduit me permettant d’accéder à la voie. Visiblement, toute
la ville avait eu la même idée que moi. Résigné, je rencontrais
pour la première fois mon square, mes trois bancs et mon arbre
dénudé. Adossé à ce dernier, mon avenir a pris ce matin là
l’odeur entêtante et doucereuse du café crème et de jolis
reflets dorés. Un bout de nez rougi par le froid s’échappant de
son écharpe. Je suis resté quelques minutes à attendre qu’elle
veuille bien partir mais elle n’a pas bougé. Au bout d’une
demi-heure, je suis rentré chez moi un peu confus. Le lendemain, je
repris la même station et arrivais même un peu en avance, histoire
de provoquer la défaite. Elle était encore là. Et tous les jours
suivants pendant cinq jours. Souriant souvent, attendant toujours. Et
un matin, envolée. Mon arbre était seul et son ombre aussi.
J’allais reprendre le chemin du travail quand je me suis rendu
compte que le dimanche matin, je pouvais dormir, et même, ô droit
suprême, ne pas aller travailler ! Souriant de ma confusion, je
m’étais assis sur un des bancs bien décidé à regarder passer le
temps aujourd’hui : je la reverrais le lendemain (ou au
futur : « je la reverrai demain »). Une main
gantée me tendit un gobelet de café fumant et mon inconnue s’assit
tout contre moi. “Revenir un dimanche, exprès pour moi, ça vaut
bien un café ! ”, plantant ses yeux dans les miens, elle
m’avait souri et dès lors, nous nous sommes appartenus. A
l’époque, elle avait accepté un stage volontaire et travaillait
de nuit. A l’heure où je prenais le métro pour mon petit bureau,
elle partait se coucher et c’est grâce à ces différences que
l’ont s’est rencontrés. Cela me convenait toujours mais elle me
manquait de plus en plus le matin à mes côtés. Elle, je n’en
savais trop rien. Ces moments rares et privilégiés de retour, on
les occupait plus à débattre dans ma chambre qu’à réellement
discuter de la situation politique du Laos ou pire encore, de savoir
si elle était heureuse avec moi malgré les distances.
Je
disséquais mon répertoire à la recherche d’un ami digne de ce
nom pouvant me donner la date de retour de mon aimée. Tout le monde
vous le dira, les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main.
Moi, en l’occurrence, je suis plutôt manchot. Mais dans un accès
de réflexion, je décidais de me rendre à son appartement et
commençais par récupérer son courrier mais ne trouvais rien.
“Est-elle partie un week-end ou un jour de semaine ?” Puis
fouillais sans aucune gène dans son bureau. “Et avec quelle équipe
de recherche ? ”. Bredouille, j’entrais dans sa chambre et
eus la surprise de trouver sous le lit son sac de voyage. Vide. Là,
il y avait un malaise, elle ne partait jamais sans sur le terrain.
Elle me mentait peut-être sur ses déplacements ? A chaque fois
quelle débarquais chez moi, c’était avec ce fichu sac, alors
pourquoi le laisser là ? Je m’assis sur le canapé et tentai
de me résonner. Mon regard fut attiré par la lumière rouge
clignotante des nouveaux messages sur le répondeur. Quatre de moi
dont des anciens qu’elle n’avait probablement jamais effacés,
d’autres d’amis et collègues et le dernier datant de plus de
quinze jours, d’un certain Nico, qui demandait si elle rentrait
bientôt et surtout (et il insistait bien sur ce mot) si elle “lui
avait parlé à son Jules”, d’un air sous-entendu. Ce message me
mit hors de moi et j’envoyais promener le répondeur deux étages
plus bas. Il fallait que la situation s’arrête, ou je n’allais
pas tarder à manquer d’électroménager dans mon entourage. Malgré
tout, je repartais avec une information : Je lui avais laissé
un message la veille de son départ, il y a dix-huit jours. Je
tentais de rappeler au numéro mystère mais sans plus de succès que
ce matin.
Ne
pas avoir de ses nouvelles ne me posais d’habitude pas de problème,
mais là, c’était différent. Et si elle attendait de revenir pour
m’annoncer qu’elle me quittait ? Ce qui somme toute était
bien ironique !
Je
passais l’après-midi à osciller entre rage et désespoir, ne
sachant si je devais me ranger dans la catégorie des cocus, trahis,
idiots, ou les trois à la fois. Passant de mon téléphone à sa
messagerie, je ne tenais pas en place mais trouvais à ce moment là
légitime d’ouvrir une bouteille de whisky. Quitte à sombrer dans
la folie, autant ne pas sentir la descente. Qu’avait-elle à
m’avouer qu’elle préférait fuir ? Je voulais hurler mon
dégoût et l’avoir en face de moi pour lui cracher ce reproche au
visage.
Vers
Seize heures trente, je partis déambuler dans les souterrains de la
capitale et revins malgré moi devant le petit square et son gardien
de bois. Sur son écorce, il y avait nos initiales. Un peu kitch mais
tellement rassurant. Si seulement j’avais su que ça tournerait
comme ça. Je lacérais l’écorce pour faire disparaître les
inscriptions, puis repris le chemin en sens inverse pour rentrer chez
moi. J’entrais dans la rame que j’aurais habituellement prise si
j’avais travaillé et choisis de m’asseoir côté fenêtre. Après
tout, je n’étais pas pressé pour descendre. J’en profitais pour
observer les gens, tout en ayant les yeux légèrement vitreux sous
l’influence de l’éthanol.
En
face de moi, une jeune fille semblait absorbée par le décor mais
ses yeux étaient rougis par les larmes. J’avançais mon corps sur
le devant de mon siège pour me rapprocher d’elle. Elle pleurait
peut-être un amour elle aussi. J'allais être dans la même
situation d'ici peu. “Mademoiselle, ça va ?” Elle
inclina la tête et se leva, outrée. Une étrange chaleur envahit
soudain l'atmosphère et un bruit strident me creva les tympans. La
jeune fille se jeta dans mes bras. Je ne vis plus rien pendant
quelques secondes. Et quand le décor, lentement, réapparut, ce
n'était plus celui d'avant. Enfin, c'était le même, mais en moins
bien rangé. Je cherchais des yeux la jeune fille : Elle était
couchée à mes pieds, immobile. Je levais les yeux et découvris
qu'elle n’était pas seule ainsi touchée. Beaucoup de passagers
couraient, d'autres ne bougeaient pas ou encore étaient couchés. Je
ne comprenais pas. Le métro était arrêté à quai. Des cris, des
bousculades et des pleurs me retranchèrent sous mon siège tout
contre ma voisine de rame. Ses yeux étaient grand ouverts et sa
bouche tremblait. Je lui attrapais le visage du bout des doigts. Sa
main attrapa violemment la mienne et se crispa. Elle plongea ses yeux
dans les miens et son regard me transperça. Si elle avait peur
autant qu'elle me lacérait la main, il fallait que je la sorte
rapidement de cet endroit. Le courant d'air frais qui nous arriva
soudain me permit d'en déduire que les portes de la rame avaient
relâché leurs prisonniers. J'attrapai ma blessée sous les bras et
tentai de la tirer vers la sortie. Je retombai sur le côté, hurlant
de douleur sans pour autant en localiser la source. Je continuais à
avancer en rampant, traînant derrière moi par la main un corps plus
mort que vif. Juste devant les portes, deux chaussures se posèrent
devant moi et je perdis la vue. Mes oreilles s'ouvrirent en grand. On
essayait de me faire lâcher prise sur la main que je secourais. Ils
durent tirer fort car mon bras se déchira et mes oreilles cessèrent
d'écouter et d'entendre. Mais mon cerveau continuait de fonctionner,
comme quoi, j'en avais bien les capacités.
Mardi
25 Juillet 1995. Station Saint-Michel du RER B. 17h26.
Mon
avenir m’était apparu dans le nom d’un ange, mon futur dans une
poignée de clous.
Cette
main que je tenais, je ne voulais que la serrer plus fort.
Certain que plus rien ne pourrait plus m'arriver si je la gardais
dans la mienne. Du fond de mon coma, je fermais ma main sur mon
avenir. Sans mon ange, je n'étais plus rien et empêcher mon cerveau
de fonctionner, ça serait mon pont à moi. Ma fuite. Je ne
souhaitais pas me battre. Revenir, ouvrir les yeux ? Pour quoi, pour
qui ? Une chaleur familière envahit mon être. Je glissais tout
doucement vers une lumière rassurante : celle du soleil. Et posais
mes yeux sur la cause de ce réveil : une main dans la mienne. Et au
bout de celle-ci, endormie sur un fauteuil à côté de moi, Gabe. Je
ne suis pas sûr, mais je crois que mon cœur s'est remis à battre à
ce moment là. Une mauvaise idée en profita pour s'infiltrer dans
cet organe. C'est bien connu, le doute ne s'installe que dans un cœur
qui bat. “Et si c’était la dernière fois que nous étions
heureux ?” Alors, cela prouve qu’on l’a été. Tout le
monde ne peut pas en dire autant. Je fermais les paupières. Elle
était là. Simplement. Toutes les larmes retenues jusque là
pointèrent leur nez. Je serrai sa main plus fort. Gabe se réveilla
et pleura en m'embrassant.
Mon
réveil entraîna un défilé de blouses blanches dans ma chambre.
Hormis un traumatisme crânien qui m’a valut un petit sommeil de
cinq jours et quelques blessures sans gravité, je m’en sortais
bien. Je demandais des nouvelles de ma voisine de rame. Les yeux
baissés, l’infirmière n’osa pas me répondre. Gabe m’annonça,
les larmes aux yeux, qu’elle n’avait pas survécu à ses
blessures. Atteinte à la tête, elle n’était déjà plus en vie
au moment où j’avais voulu la sortir de la rame. Sa main crispée
sur la mienne, n’avait été qu’un dernier geste instinctif.
Je réalisais qu’elle était morte dans mes bras, mais également
que sa fin tragique n’avait été qu’un enchaînement. Si je ne
l’avais pas abordée, elle ne se serait pas levée. Et une chose en
entraînant une autre, je ne serais pas en vie et cette seule pensée
me donna envie de me rendormir. Mon coma m’avait rendu lâche. La
gorge serrée, je questionnais ma petite amie
-
“Tu es rentrée quand ?”
-
“Il y a deux jours. On m’a dit que tu avais appelé plusieurs
fois mais que tes messages étaient inaudibles. Je me suis inquiétée
et mon séjour avait déjà été prolongé, alors j’ai décidé de
rentrer plus tôt. En arrivant, j’ai trouvé un message de
l’hôpital. Je suis venue rapidement à ton chevet. Voilà”.
Je
reposais ma tête sur l’oreiller. Elle me prit les mains, le regard
brillant.
-
“ J’ai quelques chose à te dire”
Mais
moi, je ne voulais pas savoir. A ce moment là, on frappa à la
porte. Un homme entra et nous salua. Gabe lâcha mes mains et le prit
dans ses bras. Alors j’avais raison. Et cet homme était bien…
-
“Tom, je te présente Nico, on a décidé de monter notre
propre équipe de tournage pour le prochain projet. Et bonne
nouvelle, j’aurais besoin d’un assistant technique pour le
montage audio et surtout d’un traducteur. Nico m’a demandé si tu
étais partant ? ”
Je
venais de me faire guillotiner. Littéralement. Je bredouillais que
j’allais réfléchir. Nico partit peu après. Gabe tenta de me
rassurer, passa sa main dans mes cheveux.
-
“Ne t’en fais pas, tu seras remis d’ici là. On ne commence pas
le tournage avant un mois et on sera revenus dans trois”
Des
projets ensemble. Mais alors, cela voulait dire qu’elle ne me
quittait pas ?
-
“Gabe, qu’est-ce que tu avais à me dire ?”
Elle
me regarda énigmatique.
-
“Juste qu’il ne faudrait pas que le tournage dure plus longtemps,
sinon, on risque de devoir payer une place de plus pour le retour”
J’entendais
mais n’assimilais pas. Trois ? Mais alors …
-
“Tu es ? …” ma question resta en suspend. Si Gabe était
enceinte, ça changeait tout. Mes craintes resteraient si je n’en
parlais pas. J’avais failli perdre la vie et il y avait certaines
choses que je n’expliquais toujours pas. Une infirmière entra dans
ma chambre pour prévenir Mademoiselle que les visites étaient
terminées. J’allais rester seul avec mes questions, et de
surcroît, je risquais une overdose d’informations. Gabe, son
retour miraculeux, ce cadavre dans mes bras, ce projet de voyage, un
enfant, c’était trop. Paniqué, j’essayais de la retenir encore
un peu mais sans succès. Comme un coup de vent, elle récupéra ses
affaires et m’embrassa en me donnant rendez-vous le lendemain,
avant de tourner les talons.
Juste
avant que la porte ne se referme, elle se retourna vers moi :
-
“Ha au fait, tu n’aurais pas retrouvé des feuilles manuscrites
sur ton bureau ? J’ai laissé mon manuscrit pour le concours
de nouvelles quelque part, mais impossible de remettre la main dessus
…”