samedi 19 janvier 2013

Foire aux Tandems n°9

C'est avec une petite larme à l’œil que je vous annonce la naissance de mon texte tant attendu sur le MANGEMOT. Cela fait un an que j'ai imaginé l'histoire et que celle ci n'est présente que dans les dédales de mon (hum) cerveau.

Je me suis un jour promené sur la toile et je suis tombée sur un blog fort accueillant qui propose en plus une foire aux tandems (http://fees-et-geste.blogspot.fr/2012/12/la-foire-au-tandem-n9-est-ouverte.html)
... Pour ceux qui ne connaissent pas, le principe c'est comme du troc mais avec des illustrations et des textes !!

Le concour se termine demain pour le dépot ... Oufffff, Il est 23h48 et j'ai terminé mon texte-témoin depuis une dizaine de minutes ... alors je vous propose un peu de lecture ^^

L'histoire en bref : un petit garçon en a marre de retrouver ses lignes de leçons croquées, mélangées chaque fois qu'il ouvre son cahier. Une nuit, il guette la créature du cahier responsable de ses malheurs. Il fait alors connaissance avec le mangemot, une créature lettrivore, plus particulièrement friande de fautes d'orthographe.
Le problème, c'est que dans le cahier de Jules, il y en a trop ! Raison pour laquelle la bestiole est coincée entre les lignes du cahier de Jules et ne peut plus en partir ... 

Le mangemot entre les lignes …

Ploc, plic, plaf, font les larmes qui tombent. Jules est triste. Triste parce que la Maîtresse va encore le gronder. Comme tous les jours depuis qu’il est rentré à la grande école. Comme tous les jours depuis que la Maîtresse lui a appris à dessiner des ronds, des ponts, des queues.
Il est triste parce que comme tous les matins dans son cahier, toutes ses phrases si bien écrites sont trouées. Les lettres sont mélangées, croquées. Ici, il manque un point sur un « i », là, un « p » a perdu sa canne. Plus loin, un «ç » a basculé en « u » […]

En rentrant de l’école ce soir-là, la maman de Jules lui donne des devoirs. Des devoirs d’écriture. Alors en boudant, Jules monte les marches de l’escalier en traînant son sac derrière lui. Il tourne un peu dans sa chambre avant de s’asseoir à son bureau et de sortir son cahier d’écriture. Puis il trace des « a », des « u » et toutes leurs consonnes de sœurs. La langue tirée, Jules s’applique. Entre les lignes, les ronds se suivent et se ressemblent. Les virgules font la police pour séparer les mots.
A la fin de la dernière ligne, Jules referme sont cahier en fronçant les sourcils.
Il sait ce qui va se passer. Dès que les pages se fermeront et qu’il dormira, quelque chose en profitera pour semer la pagaille dans ses lignes. Jules soupir. La maîtresse va encore le gronder, pour sûr !

Mais avant d’aller au lit, Jules serre les poings très fort. Non, il ne dormira pas ! Sa lampe de chevet est là, bien allumée. Elle veille sur ses petites lignes et sa leçon d’orthographe [...]


Dans le milieu de la nuit, une ombre cache un instant la lumière de la lampe …

vendredi 18 janvier 2013

Et si c'était la dernière fois ?

Mon texte de participation au concours de nouvelles de l'association "plume d'encre". (voir poste précédent "premières réflexions"
Thème : "et si c'était la dernière fois"
Mon texte n'ayant pas été retenu, je vous en fait cadeau ^^

Dis-moi c’est quand, que tu reviens ?

Toute une histoire peut se jouer sur le sens d’un mot, d’une phrase. D’un quiproquo. Je me suis toujours dit que les grandes problématiques mondiales pourraient être réglées si on avait tous les mêmes définitions. Celles du monde valant bien les miennes, évidemment. Et comme le monde est un peu vaste, j’ai plutôt tendance à m’occuper des miennes, de problématiques.

Pour en revenir à mon histoire, elle commence le matin tôt dans mon lit. Je me lève souvent avec cette impression étrange que tout a été déménagé dans la nuit. Mon cerveau compris. Ce matin là ne changeant pas des autres, je ne me formalisais pas. Ainsi, après mon café habituel, je préparais mes affaires pour une journée de travail. Habituelle. Je suis employé de mairie. Officieusement, j’ai pour devoir d’aider notre jeunesse à se cultiver et de l’inciter à trouver un passe-temps utile et légal, tout en la surveillant pendant les temps extra-scolaires. Officiellement, je suis bibliothécaire. Ce matin là, donc, je suis seul dans mon petit domicile fixe : ma moitié étant en déplacement au fin fond d’un pays oublié, à étudier je ne sais quelle espèce en perdition. Et tout le problème, dans mon affaire, provient justement d’un papier posé là négligemment sur mon bureau.

Et si c’était la dernière fois que nous étions heureux”. Cette petite phrase de pied de page suscita ma curiosité. C’était l’écriture de mon amie et la finesse de sa calligraphie. Des lettres trop étirées et des traits qui transpercent les mots suivants. Je ramassais les quelques feuilles noircies pour y revenir un peu plus tard. Quel besoin avais-je de vouloir savoir ?  Cette phrase s’imprima dans mon crâne et se posa sur le voile de ma vision. Elle ne prenait pas toute la place, non. Elle était juste présente. Un peu comme ces nuages gris dans les cartoons qui zonent au-dessus des têtes et suivent les personnages. Je pressais le pas sous la canicule naissante de ce matin de juillet. En vue du regard que me lança ma collègue, j’étais en retard une fois de plus. Mes excuses ne servant plus à rien depuis le temps, je compte désormais sur mes grandes qualités professionnelles pour me soutenir. Ce qui ne marche pas toujours.

A midi, je retrouvais les feuilles pliées dans ma poche de veste et parcourus les premières lignes des yeux, le reste en diagonale. Sur le papier s’étalait l’histoire d’une fille se réveillant un matin en s’apercevant que l’homme avec qui elle dormait est un parfait inconnu. Au fil des pages, le doute s’infiltre jusqu’à devenir malsain. Celui-là même que tout le monde pourrait redouter dans une histoire. L’écriture est jolie et la fin tragique : La fille en perd la raison. Suffisamment pour en perdre la vie à laquelle elle met fin en plongeant du haut d’un pont.

J’avais repoussé sans le vouloir mon déjeuner, l’estomac serré et reposais les feuilles sur la table. Et si ces pages m’étaient adressées ? Si les sentiments de mon amie étaient inscrits dans ces pages, à travers ce personnage ? Non, impossible. Elle ne les aurait pas déposées ainsi sur mon bureau ces feuilles. A moins que je ne les aie déplacées sans le vouloir, sans les voir ? Quand avais-je entendu sa voix pour la dernière fois à ma moitié ? Les minutes se sont multipliées et les heures se sont envolées depuis son départ. Je tentais de me remémorer mon emploi du temps à l’inverse des aiguilles dans l’espoir d’y trouver des détails pour me rassurer. Rien. Elle était partie un matin comme à l’ordinaire et reviendrait quelques semaines plus tard. J’en avais l’habitude même si je ne m’y habituais pas vraiment.

Dès lors, tout prit un autre goût autour de moi. Mes gestes, mes paroles et mes pensées. Tout était centré sur cette phrase “et si c’était la dernière fois que nous étions heureux”.  Quand était-elle partie déjà ? Et pour où exactement ? Je cherchais la réponse dans mon agenda et constatais dépité que le temps passant, je ne notais plus les déplacements et destinations de ma moitié aussi sérieusement qu’au début. Cela faisait plus de trois ans qu’elle partait à l’autre bout de la Terre et revenait poser ses valises quelques temps chez elle sur Paris avant de reprendre la route. Depuis deux ans maintenant, elle faisait escale dans mon petit deux-pièces. Pour quelques jours ou quelques semaines, c’était selon. Elle est éthologue. En bref, elle étudie les animaux sauvages.

En attendant de trouver une réponse à mes questions par sa voix, je laissais défiler l’après-midi sans trouver d’occupation réelle me permettant de dévier mes pensées. Qui sait, j’avais peut-être du courrier ou un message qui m’attendait ? A dix sept heures tapantes, j’étais prêt à rentrer chez moi. Pour aller au travail, j’avais pris l’habitude de prendre une ligne de métro qui ne porterait pas le nom de raccourci. Saint-Michel. A côté de l’entrée, un petit square et trois bancs entourés d’autant de réverbères verts bouteille. De cette couleur que seul le mobilier urbain de Paris ose arborer. Et en filigrane derrière ce décor, un pauvre arbre s’accrochant au ciel tant bien que mal, comme pour mieux échapper à sa condition. Je restais un moment à regarder cette scène avant de descendre dans les entrailles de la ville.

La ligne B était bondée et moite. Je m’assis sur les premiers sièges, côté couloir pour pouvoir ressortir plus vite à l’arrivée. Habituel. Pour patienter, je ressortis de ma poche mon énigme. A la fin du texte, juste avant de faire le grand plongeon, la jeune fille fait la synthèse de son histoire. “ C’est un champ de ruines qui s’étale sous mes pieds. Je n’arrive pas à trouver à quoi me raccrocher. Ni nos moments de bonheur ne m’apaisent, ni notre avenir ne me rassure. J’ai pourtant cru être heureuse mais … Rien que de dire « je t’aime » me questionne. Et si c’était la dernière fois que j’aimais et la seule où je mourrais ? ”  Je commençais à croire que le suicide avait été pour elle bien plus une sortie de secours qu’une solution. Plutôt que d’admettre la vérité, elle préférait juste fuir. J’acceptais mais ne comprenait pas. A présent, devais-je me classer parmi les célibataires ? Ma petite amie ne mâchait pas ses mots. Si elle avait dû me quitter, elle me l’aurait annoncé de vive voix. Il fallait que je me reprenne, tout ça tournait en paranoïa. Arrivé chez moi je me précipitais sur ma boîte aux lettres. Pas de courrier. Je soupirais. Je fouillais mon bureau puis ma poubelle à la recherche d’un bout de papier raturé ou oublié mentionnant le pays d’accueil provisoire de ma petite amie et surtout, sa date de retour. La plupart du temps, elle trouvait un taxi ou un collègue pour la déposer chez moi au retour et laissait même un numéro pour la joindre. Je ne trouvais aucune information dans mon appartement, de ma chambre à la cuisine. De rage, je renversais une pile de dossiers à classer de la main. Une feuille en tomba “Pour me joindre” suivi d’un numéro. Rien d’autre. Pas de “je t’aime”, ni de “à très vite”. A croire qu’elle laissait un mot à un inconnu. Je me couchais ce soir là, bercé par la lumière rougeâtre de ma messagerie de répondeur. Vide au coucher. Pas plus pleine au matin.

Au réveil, j’appelais le numéro trouvé la veille, mais tombais sur une messagerie. Et sur ses conseils, je laissais un message demandant des nouvelles de Gabe et un geste aimable de sa part confondu dans un rappel de la date de son retour. Tout en arrivant en retard, j’annonçais au regard de reproche de ma collègue que ma petite amie était portée disparue. A la question “dans quel pays est-elle partie ?”, je lançais le premier nom venu tout en me demandant si l’Ouzbékistan existait toujours sous ce nom là. Le regard de reproche se changea en désarroi et son œil devint humide. J’ignorais que je pouvais susciter de ma collègue autre chose que du reproche. Elle me proposa de rentrer chez moi, ce que j’acceptais sans remords.

Je m’arrêtais prendre un café et m’autorisais un arrêt sur un des bancs proche de l’entrée du RER. A nouveau, je me focalisais sur le paysage étrange que produisait le décor quasi théâtral. Cet arbre avait un passé et renfermait le notre. Celui de Gabriel et le mien dans un premier temps. Le notre par la suite et encore maintenant. Enfin, peut-être.

Il y a plus d’un an, je tentais de trouver un moyen pour me rendre à mon travail malgré une grève générale. Peine perdue, mon idée était grotesque. Je suis ressorti sans même avoir pu descendre dans le conduit me permettant d’accéder à la voie. Visiblement, toute la ville avait eu la même idée que moi. Résigné, je rencontrais pour la première fois mon square, mes trois bancs et mon arbre dénudé. Adossé à ce dernier, mon avenir a pris ce matin là l’odeur entêtante et doucereuse du café crème et de jolis reflets dorés. Un bout de nez rougi par le froid s’échappant de son écharpe. Je suis resté quelques minutes à attendre qu’elle veuille bien partir mais elle n’a pas bougé. Au bout d’une demi-heure, je suis rentré chez moi un peu confus. Le lendemain, je repris la même station et arrivais même un peu en avance, histoire de provoquer la défaite. Elle était encore là. Et tous les jours suivants pendant cinq jours. Souriant souvent, attendant toujours. Et un matin, envolée. Mon arbre était seul et son ombre aussi. J’allais reprendre le chemin du travail quand je me suis rendu compte que le dimanche matin, je pouvais dormir, et même, ô droit suprême, ne pas aller travailler ! Souriant de ma confusion, je m’étais assis sur un des bancs bien décidé à regarder passer le temps aujourd’hui : je la reverrais le lendemain (ou au futur : « je la reverrai demain »). Une main gantée me tendit un gobelet de café fumant et mon inconnue s’assit tout contre moi. “Revenir un dimanche, exprès pour moi, ça vaut bien un café ! ”, plantant ses yeux dans les miens, elle m’avait souri et dès lors, nous nous sommes appartenus. A l’époque, elle avait accepté un stage volontaire et travaillait de nuit. A l’heure où je prenais le métro pour mon petit bureau, elle partait se coucher et c’est grâce à ces différences que l’ont s’est rencontrés. Cela me convenait toujours mais elle me manquait de plus en plus le matin à mes côtés. Elle, je n’en savais trop rien. Ces moments rares et privilégiés de retour, on les occupait plus à débattre dans ma chambre qu’à réellement discuter de la situation politique du Laos ou pire encore, de savoir si elle était heureuse avec moi malgré les distances.

Je disséquais mon répertoire à la recherche d’un ami digne de ce nom pouvant me donner la date de retour de mon aimée. Tout le monde vous le dira, les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main. Moi, en l’occurrence, je suis plutôt manchot. Mais dans un accès de réflexion, je décidais de me rendre à son appartement et commençais par récupérer son courrier mais ne trouvais rien. “Est-elle partie un week-end ou un jour de semaine ?” Puis fouillais sans aucune gène dans son bureau. “Et avec quelle équipe de recherche ? ”. Bredouille, j’entrais dans sa chambre et eus la surprise de trouver sous le lit son sac de voyage. Vide. Là, il y avait un malaise, elle ne partait jamais sans sur le terrain. Elle me mentait peut-être sur ses déplacements ? A chaque fois quelle débarquais chez moi, c’était avec ce fichu sac, alors pourquoi le laisser là ? Je m’assis sur le canapé et tentai de me résonner. Mon regard fut attiré par la lumière rouge clignotante des nouveaux messages sur le répondeur. Quatre de moi dont des anciens qu’elle n’avait probablement jamais effacés, d’autres d’amis et collègues et le dernier datant de plus de quinze jours, d’un certain Nico, qui demandait si elle rentrait bientôt et surtout (et il insistait bien sur ce mot) si elle “lui avait parlé à son Jules”, d’un air sous-entendu. Ce message me mit hors de moi et j’envoyais promener le répondeur deux étages plus bas. Il fallait que la situation s’arrête, ou je n’allais pas tarder à manquer d’électroménager dans mon entourage. Malgré tout, je repartais avec une information : Je lui avais laissé un message la veille de son départ,  il y a dix-huit jours. Je tentais de rappeler au numéro mystère mais sans plus de succès que ce matin.

Ne pas avoir de ses nouvelles ne me posais d’habitude pas de problème, mais là, c’était différent. Et si elle attendait de revenir pour m’annoncer qu’elle me quittait ? Ce qui somme toute était bien ironique !

Je passais l’après-midi à osciller entre rage et désespoir, ne sachant si je devais me ranger dans la catégorie des cocus, trahis, idiots, ou les trois à la fois. Passant de mon téléphone à sa messagerie, je ne tenais pas en place mais trouvais à ce moment là légitime d’ouvrir une bouteille de whisky. Quitte à sombrer dans la folie, autant ne pas sentir la descente. Qu’avait-elle à m’avouer qu’elle préférait fuir ? Je voulais hurler mon dégoût et l’avoir en face de moi pour lui cracher ce reproche au visage. 

Vers Seize heures trente, je partis déambuler dans les souterrains de la capitale et revins malgré moi devant le petit square et son gardien de bois. Sur son écorce, il y avait nos initiales. Un peu kitch mais tellement rassurant. Si seulement j’avais su que ça tournerait comme ça. Je lacérais l’écorce pour faire disparaître les inscriptions, puis repris le chemin en sens inverse pour rentrer chez moi. J’entrais dans la rame que j’aurais habituellement prise si j’avais travaillé et choisis de m’asseoir côté fenêtre. Après tout, je n’étais pas pressé pour descendre. J’en profitais pour observer les gens, tout en ayant les yeux légèrement vitreux sous l’influence de l’éthanol.

En face de moi, une jeune fille semblait absorbée par le décor mais ses yeux étaient rougis par les larmes. J’avançais mon corps sur le devant de mon siège pour me rapprocher d’elle. Elle pleurait peut-être un amour elle aussi. J'allais être dans la même situation d'ici peu.  “Mademoiselle, ça va ?” Elle inclina la tête et se leva, outrée. Une étrange chaleur envahit soudain l'atmosphère et un bruit strident me creva les tympans. La jeune fille se jeta dans mes bras. Je ne vis plus rien pendant quelques secondes. Et quand le décor, lentement, réapparut, ce n'était plus celui d'avant. Enfin, c'était le même, mais en moins bien rangé. Je cherchais des yeux la jeune fille : Elle était couchée à mes pieds, immobile. Je levais les yeux et découvris qu'elle n’était pas seule ainsi touchée. Beaucoup de passagers couraient, d'autres ne bougeaient pas ou encore étaient couchés. Je ne comprenais pas. Le métro était arrêté à quai. Des cris, des bousculades et des pleurs me retranchèrent sous mon siège tout contre ma voisine de rame. Ses yeux étaient grand ouverts et sa bouche tremblait. Je lui attrapais le visage du bout des doigts. Sa main attrapa violemment la mienne et se crispa. Elle plongea ses yeux dans les miens et son regard me transperça. Si elle avait peur autant qu'elle me lacérait la main, il fallait que je la sorte rapidement de cet endroit. Le courant d'air frais qui nous arriva soudain me permit d'en déduire que les portes de la rame avaient relâché leurs prisonniers. J'attrapai ma blessée sous les bras et tentai de la tirer vers la sortie. Je retombai sur le côté, hurlant de douleur sans pour autant en localiser la source. Je continuais à avancer en rampant, traînant derrière moi par la main un corps plus mort que vif. Juste devant les portes, deux chaussures se posèrent devant moi et je perdis la vue. Mes oreilles s'ouvrirent en grand. On essayait de me faire lâcher prise sur la main que je secourais. Ils durent tirer fort car mon bras se déchira et mes oreilles cessèrent d'écouter et d'entendre. Mais mon cerveau continuait de fonctionner, comme quoi, j'en avais bien les capacités.

Mardi 25 Juillet 1995. Station Saint-Michel du RER B. 17h26.
Mon avenir m’était apparu dans le nom d’un ange, mon futur dans une poignée de clous.

Cette main que je tenais, je ne voulais que la serrer plus fort.  Certain que plus rien ne pourrait plus m'arriver si je la gardais dans la mienne. Du fond de mon coma, je fermais ma main sur mon avenir. Sans mon ange, je n'étais plus rien et empêcher mon cerveau de fonctionner, ça serait mon pont à moi. Ma fuite. Je ne souhaitais pas me battre. Revenir, ouvrir les yeux ? Pour quoi, pour qui ? Une chaleur familière envahit mon être. Je glissais tout doucement vers une lumière rassurante : celle du soleil. Et posais mes yeux sur la cause de ce réveil : une main dans la mienne. Et au bout de celle-ci, endormie sur un fauteuil à côté de moi, Gabe. Je ne suis pas sûr, mais je crois que mon cœur s'est remis à battre à ce moment là. Une mauvaise idée en profita pour s'infiltrer dans cet organe. C'est bien connu, le doute ne s'installe que dans un cœur qui bat. “Et si c’était la dernière fois que nous étions heureux ?” Alors, cela prouve qu’on l’a été. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Je fermais les paupières. Elle était là. Simplement. Toutes les larmes retenues jusque là pointèrent leur nez. Je serrai sa main plus fort. Gabe se réveilla et pleura en m'embrassant.

Mon réveil entraîna un défilé de blouses blanches dans ma chambre. Hormis un traumatisme crânien qui m’a valut un petit sommeil de cinq jours et quelques blessures sans gravité, je m’en sortais bien. Je demandais des nouvelles de ma voisine de rame. Les yeux baissés, l’infirmière n’osa pas me répondre. Gabe m’annonça, les larmes aux yeux, qu’elle n’avait pas survécu à ses blessures. Atteinte à la tête, elle n’était déjà plus en vie au moment où j’avais voulu la sortir de la rame. Sa main crispée sur la mienne, n’avait été qu’un dernier geste instinctif.  Je réalisais qu’elle était morte dans mes bras, mais également que sa fin tragique n’avait été qu’un enchaînement. Si je ne l’avais pas abordée, elle ne se serait pas levée. Et une chose en entraînant une autre, je ne serais pas en vie et cette seule pensée me donna envie de me rendormir. Mon coma m’avait rendu lâche. La gorge serrée, je questionnais ma petite amie
- “Tu es rentrée quand ?”
- “Il y a deux jours. On m’a dit que tu avais appelé plusieurs fois mais que tes messages étaient inaudibles. Je me suis inquiétée et mon séjour avait déjà été prolongé, alors j’ai décidé de rentrer plus tôt. En arrivant, j’ai trouvé un message de l’hôpital. Je suis venue rapidement à ton chevet. Voilà”.
Je reposais ma tête sur l’oreiller. Elle me prit les mains, le regard brillant.
- “ J’ai quelques chose à te dire”
Mais moi, je ne voulais pas savoir. A ce moment là, on frappa à la porte. Un homme entra et nous salua. Gabe lâcha mes mains et le prit dans ses bras. Alors j’avais raison. Et cet homme était bien…
- “Tom, je te présente Nico, on a décidé de monter notre propre équipe de tournage pour le prochain projet. Et bonne nouvelle, j’aurais besoin d’un assistant technique pour le montage audio et surtout d’un traducteur. Nico m’a demandé si tu étais partant ? ”
Je venais de me faire guillotiner. Littéralement. Je bredouillais que j’allais réfléchir. Nico partit peu après. Gabe tenta de me rassurer, passa sa main dans mes cheveux.
- “Ne t’en fais pas, tu seras remis d’ici là. On ne commence pas le tournage avant un mois et on sera revenus dans trois”
Des projets ensemble. Mais alors, cela voulait dire qu’elle ne me quittait pas ?
- “Gabe, qu’est-ce que tu avais à me dire ?”
Elle me regarda énigmatique.
- “Juste qu’il ne faudrait pas que le tournage dure plus longtemps, sinon, on risque de devoir payer une place de plus pour le retour”
J’entendais mais n’assimilais pas. Trois ? Mais alors …
- “Tu es ? …” ma question resta en suspend. Si Gabe était enceinte, ça changeait tout. Mes craintes resteraient si je n’en parlais pas. J’avais failli perdre la vie et il y avait certaines choses que je n’expliquais toujours pas. Une infirmière entra dans ma chambre pour prévenir Mademoiselle que les visites étaient terminées. J’allais rester seul avec mes questions, et de surcroît, je risquais une overdose d’informations. Gabe, son retour miraculeux, ce cadavre dans mes bras, ce projet de voyage, un enfant, c’était trop. Paniqué, j’essayais de la retenir encore un peu mais sans succès. Comme un coup de vent, elle récupéra ses affaires et m’embrassa en me donnant rendez-vous le lendemain, avant de tourner les talons.
Juste avant que la porte ne se referme, elle se retourna vers moi :


- “Ha au fait, tu n’aurais pas retrouvé des feuilles manuscrites sur ton bureau ? J’ai laissé mon manuscrit pour le concours de nouvelles quelque part, mais impossible de remettre la main dessus …”